• Benjamin König – Humanité Dimanche

 

Plusieurs centaines de maires de petites communes rurales se sont rassemblées devant l’assemblée nationale en juin 2015 pour dénoncer la loi NOTRe (Nouvelle organisation territoriale de la République). 90% des communes sont rurales…

 

Le 99e congrès des maires s’ouvre ce 31 mai, à Paris, dans un contexte tendu et inédit. Cibles de la réduction des dépenses publiques, les communes se retrouvent sous le feu croisé de l’austérité et de la réorganisation territoriale, qui, à terme, menacent leur existence même. Pourtant, les maires restent les élus les plus proches et les plus respectés des Français. Jusqu’à quand ?

 

«Il y aura une municipalité dans chaque ville, bourg, paroisse ou communauté de campagne. » C’est par ces mots que l’Assemblée nationale crée la commune, le 12 novembre 1789. Plus de deux cents ans après, elle demeure l’échelon territorial le plus structurant du territoire français. Tout le monde – ou presque – connaît son maire, ce qui est loin d’être le cas pour les autres élus locaux. Et beaucoup l’estiment : bon an mal an, les Français sont autour de 80 % à apprécier leur maire, malgré le rejet grandissant du politique. C’est toujours la commune qui assure les services publics de proximité, la cantine scolaire, l’aide sociale (via les CCAS), les transports de proximité, l’accès aux soins, l’aide à la petite enfance, le sport, la culture… « La ville, c’est la collectivité du quotidien, explique-t-on à la mairie de Dieppe, dont le premier magistrat est le communiste Sébastien Jumel. Ce qui légitime la commune, c’est la proximité mais aussi la capacité à répondre, sinon on ne sert pas à grand-chose… » Autant de services quotidiens indispensables, sans parler des activités périscolaires nées de la réforme des rythmes scolaires, en 2013. Et même, depuis le mois dernier, des actions de détection et de prévention de la radicalisation. Surtout, les communes et les intercommunalités représentent une part prépondérante de l’investissement public en France, dont 70 % sont assurés par les collectivités locales. Elles sont donc indispensables à la bonne santé économique.

Mise à mort programmée

Pourtant, l’étranglement est programmé. Les communes sont la proie d’un ordre néolibéral qui veut les étouffer lentement, à la façon du boa constrictor. Une prise en étau par le bas, via le financement et la fameuse baisse des dotations, et par le haut, avec un assèchement institutionnel, notamment par les nouvelles collectivités que sont les métropoles et les intercommunalités – pensées à l’origine comme des outils permettant de meilleurs services à la population, mais qui sont aujourd’hui utilisées pour « mettre à mort » les communes.

Premier service public

« Jamais la commune n’a été aussi menacée, jamais la commune n’a été aussi nécessaire »,résume avec son sens de la formule André Laignel, maire PS d’Issoudun, vice-président de l’Association des maires de France, et éternel défenseur de l’échelon communal (lire entretien). C’est dans ce contexte que se tiendra le congrès des maires, organisé par l’Association des maires de France (AMF), du 31 mai au 2 juin. Initialement prévu en novembre dernier, il a été reporté à cause des attentats, et s’annonce comme un des plus brûlants depuis longtemps. Les maires sont à cran : ils prennent de plein fouet le mécontentement de la population, « sont en première ligne face à la précarité », comme le résume Sébastien Jumel, et s’interrogent sur leur rôle. L’AMF et son président, François Baroin, invoquent ce congrès « en faveur de la commune face à un État qui la prive de moyens ». Une prise de position au demeurant assez hypocrite pour le maire de Troyes, quand on sait que son parti, Les Républicains, prône une politique d’austérité plus dure encore que celle que mène François Hollande… Lequel est d’ailleurs attendu au tournant : comme c’est l’usage, c’est lui qui prononcera le discours de clôture, sur fond de contestation de l’austérité et de baisses des dotations de financement.

Sur la période 2014-2017, les communes et intercommunalités ont vu en effet leurs dotations baisser de 15,7 milliards d’euros, sur les 50 du programme de stabilité présenté à la Commission européenne. Cette année, ce sont encore 3,7 milliards d’euros en moins pour les communes. Et les maires ont mobilisé : plus de 130 000 signatures ont été recueillies pour demander un répit dans cet étranglement, et 62 % des Français jugent justifiée la fronde municipale.

Les ravages de cette asphyxie financière sont nombreux : dans beaucoup de villes, les élus n’hésitent pas à sabrer dans les subventions aux associations, les budgets de la culture, l’éducation ou la santé. Surtout à droite – et encore plus au FN –, où l’occasion est belle de réduire les services publics grâce à un tel prétexte. « L’austérité décrétée par le gouvernement ne mène à rien, analyse Sébastien Jumel. Elle ne fait au contraire que mettre encore un peu plus les habitants les plus fragilisés en difficulté, elle conduit les collectivités locales et donc le pays dans l’impasse. »

Même s’il y a de grandes disparités selon les villes, ces dernières ont également été contraintes d’augmenter la fiscalité et/ou les tarifs des services rendus, en moyenne de 4 %. Mais au-delà des clivages partisans, un signe ne trompe pas : l’investissement est touché. En 2015, il a chuté… de 27 % ! Ce qui a conduit Nicolas Sansu, maire PCF de Vierzon et député, à être le rapporteur d’une commission d’enquête visant à évaluer les conséquences de la baisse des dotations pour les communes et les intercommunalités. Une commission dont le rapport avait précisément été censuré par la majorité socialiste, et qui avait conduit son rapporteur à déclarer que : « Le but, en réalité, est de supprimer la commune à terme. »

Supprimer la commune : le mot est fort. Pourtant, c’est bien cela qui est en cause : la loi NOTRe (nouvelle organisation territoriale de la République), votée l’année dernière, a précisément pour but de substituer à notre organisation, héritée de la Révolution et basée sur la ­com­mune et le département, un nouvel ordre libéral fondé sur les intercommunalités et les super-­régions. Une façon technocratique d’éloigner le citoyen des élus. À ce titre, nombre de maires sont très inquiets, comme le prouve un sondage réalisé en septembre dernier pour l’association Villes de France : 63 % d’entre eux sont insatisfaits du nouveau découpage territorial (la loi NOTRe a créé les 13 super-régions mais oblige aussi les communes à se regrouper en intercommunalités plus grandes). Ils sont d’ailleurs 72 % à estimer que cela éloigne les villes des niveaux de décision. Pourtant, ils aiment leur engagement : 98 % d’entre eux, si c’était à refaire, replongeraient sans hésiter. Et quand on leur demande leur motivation, 43 % répondent « l’envie d’être utile à ses administrés », 35 % « l’envie d’améliorer le quotidien des habitants », et 22 % « l’envie de transformer sa ville ». Les obstacles ? 45 % évoquent l’excès de normes, 24 % les difficultés de gouvernance, et surtout 89 % la baisse des dotations. À cet égard, il est assez étrange que ce congrès verra en quelque sorte les agneaux face aux loups : les maires vont ainsi écouter en ouverture Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, et en clôture François Hollande. Soit, chacun à leur niveau, les deux chantres de l’austérité et de l’étouffement des communes. Nul doute que les maires vont faire part bruyamment de leurs inquiétudes. Surtout si François Hollande continue de faire preuve de surdité à leur égard.